Darmouch Ahmed, Pédagogue de terrain, Militant convaincu, Homme Hospitalier, Père Dévoué,
S’est éteint le matin du vendredi 12 novembre 2010, 05 Doulhijja 1431.
Article par Professeur Ahmed ElBahi(Ret), Faculte des lettres de Beni Mellal
Transcription par Prof Ahmed Falah(Ret).
“A celui qui m’avait pris sous son aile, un Pédagogue detertrain”.
En débarquant à l’école de Timoulilt, à une vingtaine de km de Béni Mellal, en 1970, en tant qu’instituteur stagiaire, démuni de tout : expérience, moyens financier, j’avais la chance de tomber sur un homme, âgé d’une quarantaine d’années, c’était le Directeur de l’éco, Ahmed Darmouch. Un homme qui frappe par son élégance – qualité qu’il garde jusqu’à la fin de ses jours-, et dont j’avais entendu parler après avoir obtenu mon affectation ; cet homme allait nous être, nous les stagiaires, d’un appui considérable. Après mon affectation dans une école du secteur scolaire, il m’avait confié une série de didactique (le terme était peu employé à l’époque) et de psychopédagogie en me disant « tu n’as rien d’autre à faire que le travail et la lecture ». C’était ainsi que j’ai lu la méthode Tranchart et bien d’autres ouvrages. Il organisait à notre profit des réunions pédagogiques régulières où des leçons étaient présentées par les anciens instituteurs et progressivement par les nouveaux. Pour compléter notre formation, il nous surprenait par des visites et établissait chaque fois un rapport de visite en notant ses remarques et ses suggestions. Cet homme courtois, modeste, ouvert a su créer une atmosphère de travail fraternel, il est notre directeur, notre père, notre frère et notre ami (je ne sais pas si je dois employer les temps du discours ou ceux du récit, les deux temporalités se mêlent dans mon esprit). Il nous avait initiés à un travail dur mais noble. Quand quelqu’un commet une erreur professionnelle ou pédagogique, rares Dieu merci, il ne mâchait pas ses mots, il savait le rappeler à l’ordre. J’en avais fait les frais une fois. J’étais chargé de la surveillance et j’avais laissé les élèves en classe sans qu’ils fassent les rangs à la fin de la récréation car il pleuvait un peu. Il m’avait convoqué et m’avait dit sur un ton sévère : « ici nous faisons apprendre la discipline ». Je n’oublierai jamais la leçon. Il m’avait confié, à moi, instituteur sans grande expérience, un de ses fils inscrit au cours préparatoire (CP). Ce n’est que plus tard que je comprendrai le sens de cette confiance.
En raison de ses qualités pédagogiques ; il sera chargé d’inspection durant quelques années. Tous les enseignants qu’il avait inspectés ou titularisés reconnaissaient sa droiture, son honnêteté et ses compétences. Il avait passé l’examen pour devenir inspecteur, il était admis mais il avait raté l’examen de sortie, à l’époque tout n’était pas transparent. Cet échec allait le pousser à relever le défi. Il avait préparé son baccalauréat Lettres modernes et il m’avait embarqué dans cette nouvelle et belle aventure : celle du savoir. Il s’était inscrit à la faculté des Lettres Mohamed V à Rabat. Après l’obtention du DEUG (et sa licence en 1980), il sera affecté au centre de formation des instituteurs où il mettra au profit des futurs instituteurs, puis au service des écoliers et des professeurs, son expérience acquise sur le terrain en tant qu’instituteur dès sa première nomination au village d’Anergui dans les montagnes du Moyen Atlas, son expérience en tant que Directeur, son expérience en tant qu’inspecteur de l’enseignement primaire, son savoir académique cueilli à l’université et ce, jusqu’à l’âge de la retraite.
Sa retraite n’était pas une retraite ; il a choisi travailler successivement et bénévolement dans deux écoles privées (Victor Hugo, Safir Elkalam jusqu’à la veille de son décès le vendredi 12 Novembre 2010), il encadrait les jeunes enseignants recrutés, il enseignait quand un professeur était absent ; il faisait des leçons de démonstration pour les nouveaux enseignants. Les élèves aussi bien que les parents admiraient l’assiduité et l’abnégation d’un homme septuagénaire qui n’avait d’autres soucis que d’ « éduquer et instruire », c’est d’ailleurs le nom d’un livre qu’il avait. Ces/ses élèves, leurs parents et les instituteurs l’ont pleuré. Qu’elle récompense d’être pleuré par un enfant de onze ans ! L’école où il a travaillé jusqu’à la veille de son décès avait fermé ses portes le jour de son décès. Plus d’un parent m’a fait savoir que son fils était rentré à la maison les larmes aux yeux : »Monsieur Lhaj est mort », ont-ils dit. Peut être croient-ils que les maîtres d’école ne meurent pas.
Il était un instituteur-né. IL n’était jamais lancé dans un quelconque commerce ; il se contentait de peu. Il ne cessait de répéter : « Nous avons suffisamment reçu de notre pays, nous devons faire profiter les autres de notre expérience ».
L’expérience c’était tout ce qu’il avait.
Les instituteurs qui l’avaient comme professeurs témoignent et témoigneront encore de toutes ses qualités. Il restera l’une des mémoires de la ville de Béni Mellal et des villages d’Oulad M’bark et Timoulilt.
Etudiant à l’université
Ahmed Darmouch avait obtenu son baccalauréat 1975. Inscrit à la faculté des Lettres à Rabat, il se rendait en compagnie de son ami Chahi Salah chaque vendredi à Rabat. Leur assiduité a forcé l’admiration des professeurs : des étudiants âgés assistaient régulièrement aux cours, alors que des jeunes étudiants habitant à la cité ou à Rabat séchaient leurs cours. Le cursus universitaire effectué sans faille lui avait permis d’accéder au grade de professeur second cycle. Son passage par l’université était une revanche sur le passé, sur l’enfance difficile. A l’époque de sa jeunesse, le lycée était inexistant à Béni Mellal et seules quelques villes comme Rabat, Casablanca, Fès avaient le privilège d’en avoir un.
A chaque descente à Rabat, il revenait avec des dizaines de livres qu’il achetait à Kalila Wa Dimna ou à la librairie Agdal. Cet amour des livres ne datait pas de son inscription à la faculté ; j’avais découvert chez lui des œuvres classiques reliés : Tchekhov, la série des prix Nobel, les grands classiques publiés par les éditions Rencontre, Lausanne et bien d’autres œuvres. De lui, j’avais appris l’amour des livres, l’amour qu’il avait transmis à ses enfants. Quand il s’agissait de l’achat des livres, il ne comptait pas ; les libraires présents, en particulier Si Driss, à ses funérailles en témoignent. Chaque fois que je rencontrais quelques uns des ses anciens professeurs de la Faculté de Lettres de Rabat, en particulier M. Alaoui Mdaghri, M’daghri Abdellah ou M. Bakali, ils me demandent les nouvelles de M. Darmouch et de M. Chahi.
Militant convaincu
J’apprendrai plus tard qu’il était membre du parti de l’Union socialiste des forces populaires. Muté de Timoulilt à l’école M’salla Charquia à Béni-Mellal, il ne cachera plus son appartenance politique. Gréviste en 1997, il avait fermé le portail de l’école ; le Délégué lui avait donné l’ordre de rouvrir l’école, il lui avait envoyé les clés en disant à l’émissaire qu’il était ce jour là gréviste. Les membres du syndicat opposé à la grève avaient fait venir quelques élèves et les avaient pris en photos qui les montraient en train d’escalader le portail pour accéder à l’école. Une manière de renforcer les accusations contre le directeur de l’école. Lorsque les dizaines d’enseignants étaient injustement suspendus, il n’avait pas fui ses responsabilités et avait continué à collecter de l’aide à ces derniers. Un des syndicalistes a été arrêté le jour de la grève, M. Darmouch avait acheté une galette de pain et il l’avait bourré de viande hachée et il avait prié un des Khalifa (aujourd’hui à la retraite) de la remettre discrètement au gréviste arrêté, un tel geste était à l’époque un acte qui vous exposait à des représailles. Ce gréviste dira plus tard à A. Darmouch, que c’était tout ce qu’il avait mangé pendant les jours de son arrestation.
Il s’était présenté aux élections sous l’étiquette de l’U.S.F.P mais comme il n’avait pas le soutien des autorités de l’époque ni les moyens financiers à distribuer ( chose qu’il ferait pas même s’il en avait), il n’a pas été élu. Il m’avait parlé de quelques rencontres auxquelles il avait assisté avec les hauts responsables du parti, en particulier Abderrahim Bouabid qu’il appréciait beaucoup. Mais avec les déchirements qu’avait connus le parti, il avait pris ses distances et il était resté un observateur de l’évolution des choses, non sans amertume. Ses croyances religieuses et ses convictions politiques étaient solides, mais il était ouvert au dialogue. Il lisait beaucoup. Il avait beaucoup regretté de ne pas être en mesure d’assister aux obsèques de Mohamed Bougrine, le grand militant, en raison d’une opération à l’oeil qui l’avait contraint de garder le lit. Il appréciait beaucoup ce militant modeste qui n’avait jamais renié ses convictions et supporté les conséquences de son engagement ! Si Ahmed m’avait rapporté de l’une de ses visites à M. Bougrine à Souk Essebt, dans les années quatre vingt quand ce dernier était sorti de la prison, qu’il avait remarqué dans le salon où il avait été reçu, une seule photo : celle de Che Guévara.
Ahmed Darmouch Dans le travail Associatif
Ahmed Darmouch a été membre du bureau du ciné club de la ville de Béni-Mellal dans les années quatre vingt du siècle dernier. Une responsabilité qu’il avait durement assumée. Le ciné club était à l’époque en relation étroite avec le parti et le syndicat. A la fin de son mandat et à l’occasion de l’élection du nouveau bureau, il m’avait avoué que cette responsabilité était comme une montagne sur ses épaules. Le mercredi 10 novembre 2010, il était allé avec un groupe d’élèves de l’école où il travaillait encore à l’école primaire du village Ait Amir qui dépendait de Timoulilt à l’époque où il était directeur et ce, dans le cadre d’une action humanitaire en faveur des élèves de l’école du village. Certains habitants qui s’étaient souvenus de lui avaient exprimé leur joie. Une vieille femme lui avait baisé la tête en signe de reconnaissance. Beaucoup de gens ont une dette envers cet homme qui n’avait qu’un pouvoir moral et symbolique.
La générosité de l’homme
Si Ahmed Darmouch tenait sa maison ouverte pour ses amis et connaissances. J’ai vu une mendiante pleurer le jour de sa mort ; il était généreux avec les pauvres qui fréquentaient le quartier. Les voisins connaissent bien sa bonté, sa générosité. Il n’était pas riche ; mais il avait le don de partager avec les autres dans les limites du possible. Sa générosité et son hospitalité il les partageait avec son épouse Lalla Fatima, femme humainement noble. Ce couple a eu toujours le cœur sur la main.
Les relations de Si Ahmed Darmouch avec ses amis étaient plus que fraternelles (MM.Bami, Falah, Sekouri, Elhaddi, Chakir, Morchid ; Atili, A zzane, Touhami, Zaghloul, Chahi, Achibet et bien d’autres…). Ahmed Darmouch avait une histoire avec chacun de ses innombrable amis et connaissances. La mienne en marge de tout cela. Chacun de nous a une dette de reconnaissance envers lui.
Si Ahmed venait souvent en aide à ses amis lorsqu’ils étaient dans la détresse comme en témoignait son action en faveur de l’un de ses amis qui était atteint d’insuffisance rénale. Il avait mené une campagne de collecte d’argent auprès des amis du malade et d’autres personnes bénévoles pour lui assurer un traitement régulier jusqu’à ce qu’il fût admis et pris en charge par le centre d’hémodialyse de l’hôpital de la ville.
Il n’aimait pas beaucoup parler des services rendus aux autres. Il était discret pour ce genre de choses. D’autre part, il était un homme reconnaissant. Il n’oubliait jamais un service qui lui avait été rendu, si minime soit-il.
En tant que premier directeur de l’école de la localité de Timoulilt, il avait à sa façon inauguré l’ouverture de l’école sur son environnement : il aimait cette localité et ses habitants jusqu’à son dernier soupir. Les habitants le considéraient comme l’un des leurs. Ils lui ont rendu un grand hommage en célébrant le 50ème anniversaire de la création de l’école. Les nombreux cadres de la localité lui sont à ce jour reconnaissants. L’un de ses fils s’était marié avec l’une des filles de l’ancien concierge de l’école. Un des anciens instituteurs, aujourd’hui inspecteur de l’enseignement à la retraite avait épousé une fille de sa famille. Ses liens avec le village étaient allés au-delà du cadre professionnel. Tout cela pour dévoiler comment cet homme modeste avait pu marquer bien des générations par son travail, sa conscience professionnelle, sa droiture, sa bonté…
Il était sincère dans ses relations. Après avoir obtenu mon baccalauréat avec son aide, j’étais admis à suivre une formation pour accéder au collège, comme professeur de premier cycle ; c’était lui qui s’occupait de ma famille jusqu’à mon déménagement. J’apprendrai plus tard qu’il avait pleuré quand, en partant à Meknès, je lui avais dit au revoir. En me disant au revoir il m’avait offert le livre Mermoz de Joseph Kessel qui parlait de l’amitié ; c’est ce dernier qui a dit : « ce sont les échecs bien supportés qui donnent le droit de réussir ». Auparavant il m’a aidé à trouver un lot de terrain ; à un moment donné j’avais du mal à payer les échéances, il s’en était chargé en attendant que je sois en mesure de m’en acquitter. Je donne ces exemples pour souligner la grandeur de cet homme. Quand je préparais mon mémoire de licence, mon professeur m’avait proposé un sujet sur le roman Vendredi ou les limbes du pacifique de Michel Tournier. Si Ahmed m’avait suggéré un titre que j’avais gardé « Vendredi ou les limbes du pacifique nouvelle version de Robinson Crusoé ». Il avait le roman de Daniel Defoe dans une belle reliure, qu’il m’avait offert.
Le père exemplaire
Ses rapports avec ses amis et ses connaissances étaient le reflet de l’ambiance régnante au foyer. Il respectait ses enfants dans le choix de leurs études, leurs amis, leur tendance politique. Il avait transmis à ses enfants le sens de la responsabilité, la passion de la lecture et des études. Il leur avait laissé une bibliothèque bien fournie. Les discussions avec ses enfants sur les livres lus par eux étaient fréquentes.
Le religieux sincère et modeste
Depuis que je l’avais connu, il était un pratiquant qui respectait l’horaire de ses prières même quand il était malade ou en voyage. Mais il n’affichait jamais sa religion avec des signes quelconques. Quand il enseignait au centre de formation des instituteurs, il avait fait construire une petite mosquée au sein de l’établissement grâce à la collecte d’argent qu’il avait organisée. Ses convictions religieuses étaient solides, mais cela ne l’empêchait pas de lire ; mais c’est toujours avec un œil critique : je lui avais apporté en 2009 de Tunis le livre de Hicham Djait « la grande discorde », après la lecture du bouquin, il m’en avait parlé en émettant ses points de vue.
L’oraison funèbre prononcée sur sa tombe par l’Imam Abdellah Elmadani était un témoignage émouvant et sincère.
Si Ahmed Darmouch avait une vie bien remplie. Il était décédé debout.
Que Dieu ait son âme en sa miséricorde.